En 1969, dans l’édition de décembre du magazine Vogue, le prolifique auteur Russe Vladimir Nabokov proposa une tout autre façon d’enseigner l’oeuvre de James Joyce, Ulysses. Il suggéra que l’apprentissage de cet ouvrage ne se limite pas qu’à un exposé théorique en salle de classe, mais qu’il soit plutôt fait en empruntant l’itinéraire du protagoniste, Leopold Bloom, à travers les rues de Dublin afin que les étudiants puissent pleinement s’approprier le lien flagrant entre le cheminement intellectuel du héros et l’acte de marcher.

Depuis les premiers écrits philosophiques grecs attestant des mérites de la marche afin d’amorcer notre processus de pensée, plusieurs artistes et autres acteurs de l’hémisphère droit ont su intégrer cette pratique à leur processus créatif. Nous n’avons qu’à penser au poète anglais William Wordsworth dont l’oeuvre, relatant souvent des parcours en forêt, en montagne ou en ville, fut principalement rédigée en marchant. Il a même été avancé que l’homme marcha un peu plus de 128,000 km au courant de sa vie, ce qui équivaut environ à 10.5 km par jour depuis son adolescence.

Une pratique aux bénéfices mesurables

C’est avec ses données en trame de fond qu’a été amorcée, voilà quelques mois, une étude de l’université Stanford qui avait comme objectif d’établir un lien direct et mesurable entre le niveau de créativité d’un individu et l’acte de marcher. Les résultats furent plus que concluants. Les études menées sur près de 200 participants par les professeurs Marily Oppezzo et Daniel Schwartz démontrèrent que la pensée créative et l’inspiration sont non seulement bonifiée en moyenne de 60% durant la marche, mais que les bénéfices de l’exercice perduraient durant un certain temps après l’activité. Il a également été prouvé que cet affinement de l’esprit créatif est directement lié à l’exercice et non à l’environnement dans lequel le parcours de marche est emprunté. À cet effet, les personnes ayant marché sur un tapis roulant faisant face à un mur blanc ont ressenti les mêmes bénéfices que les participants ayant fait le trajet à l’extérieur!

Quels mécanismes biologiques sont sous-jacents à ces résultats? Bien que les réponses à cette question sont encore à approfondir par la communauté scientifique, nous savons que le cerveau reçoit davantage de sang, donc d’oxygène, lors de la marche. De plus, il a été démontré que la marche permet la création de nouvelles connections cellulaires au niveau du cerveau, qu’elle ralentit le vieillissement naturel des tissus cérébraux, qu’elle augmente le volume de l’hippocampe, région du cerveau responsable de la mémoire, et qu’elle élève le niveau des molécules favorisant la production de nouveaux neurones, bonifiant du même coup leur capacité à communiquer entre eux. Également fort intéressant, l’acte de marcher, ne requérant aucunement notre attention, permettrait de créer un rythme serin et propice à la créativité dans lequel notre corps et notre cerveau se répondraient en harmonie dans un cycle continu, un peu à l’instar d’un métronome qui régirait notre rythme de pensées.

Ayant moi-même intégré la marche à mes pratiques, j’ai été à même d’apprécier ses bénéfices en regard de la créativité et de l’innovation. Favorisant l’accès à un tout autre angle de vue sur une situation ou une problématique, elle m’apparait fort appropriée pour un «brainstroming» lors du stage embryonnaire d’un projet. Seul ou accompagné, il s’agit d’une pratique à la portée de tous qui, bien que requérant un certain investissement de temps, saura, sans aucun doute, rapidement porter fruit.

Alors, manque d’inspiration? Bonne marche!